Modification du métabolisme énergétique et des macronutriments en haute altitude
Voici les résultats d’une autre étude réalisée par la même auteure, mais cette fois les notions sont plus approfondies et plus scientifiques (les chiffres entre parenthèses renvoient aux références de bas de page)
Plus haut, plus vite? plus mal!
Grandes expéditions ou simplement voyages de plaisance, bon nombre de gens optent pour des destinations de montagnes. Les Alpes, les Rocheuses ou l’Himalaya sont un paradis pour les amateurs d’alpinisme, d’escalade, de ski ou autres sports de plein air. Or, grimper vers des altitudes de plus en plus élevées ne donne pas toujours l’impression d’approcher du 7ème ciel! Près de 25% des alpinistes s’aventurant au dessus de 2590m développent un ou plusieurs symptômes du mal de l’altitude (8). Ces symptômes sont variés: maux de tête, insomnie, perte d’appétit, nausées, lassitude, oedèmes (5, 6, 9, 12, 15). Leur prévalence et leur gravité dépendent de plusieurs facteurs dont la vitesse de l’ascension, l’altitude atteinte et les spécificités propres à chaque individu (8)
Raréfaction de l’oxygène
L’ascension en haute altitude provoque des changements physiologiques à plus ou moins long terme. Ces changements ont le potentiel de profondément affecter les besoins en nutriments des voyageurs et aventuriers. Immédiatement à l’arrivée en haute altitude, la pression en oxygène (O2) de l’air inspiré, alvéolaire et artériel, de même que la consommation maximale d’O2 (VO2max) diminuent de façon importante (6, 8–10, 12, 18). Les chémorécepteurs des centres respiratoires et du coeur se trouvent stimulés, ce qui est à l’origine du rythme cardiaque et de la ventilation accélérés. En quelques jours, la sécrétion d’érythropoïétine permet la production d’un plus grand nombre de globules rouges (8, 15)améliorant donc l’oxygénation de l’organisme. L’hyperventilation cause une diminution du contenu artériel en CO2, ce qui entraîne une alcalose (5, 8). Les reins répondent à cette alcalose en excrétant davantage de bicarbonates (en vue de faire diminuer le pH à sa valeur de base, soit 7,4) ce qui est associé à une diurèse et une diminution du volume plasmatique. Le coeur doit donc pomper un sang plus visqueux et la pression artérielle se voit augmentée.
La performance pour un travail sous-maximal est aussi grandement affectée. Pour un travail effectué à une puissance donnée (travail absolu), le travail en haute altitude exigera un pourcentage du VO2 max supérieur (travail relatif) (4, 16, 20). Cela est une conséquence directe de la moins bonne disponibilité de l’oxygène dans l’air ambiant.
Toutes ces réponses physiologiques à l’altitude laissent croire que des modifications de l’utilisation des nutriments ainsi qu’une augmentation des besoins pour certains par rapport au niveau de la mer sont possibles. Le fait que la dépense énergétique des aventuriers soit supérieure en haute altitude par rapport au niveau de la mer est reconnu de tous. La contribution de chacun des macronutriments ne fait cependant pas l’unanimité.
Balance énergétique
De toutes les conclusions tirées des recherches sur l’altitude, celle pour laquelle il y a consensus est la difficulté pour les individus à conserver leur poids (5, 9, 10–12, 15, 19, 21, 22). De nombreuses hypothèses explicatives sont émises, mais celle qui semble la plus évidente est l’apport énergétique inférieur aux besoins. Un séjour en haute altitude rend cet équilibre difficile à maintenir. En effet, plusieurs facteurs contribuent à augmenter la dépense énergétique (changements métaboliques, hormonaux, environnementaux, etc.) (1, 11). Parallèlement, une alimentation adéquate se trouve compliquée par le mal de l’altitude, le manque d’appétit, de confort et de choix pour la nourriture, etc… (10, 11). Dans la littérature, on retrouve des études mentionnant la possibilité d’éviter un amaigrissement en fournissant des quantités suffisantes de nourriture appétissante (9, 10, 21, 22). Cette condition n’est pas souvent remplie en situation réelle.
Plusieurs chercheurs ont tenté de quantifier le déficit énergétique. De ceux-ci, Westerterp (20) a évalué un apport de 2,6 ± 1,6 MJ/jour inférieur à la dépense chez des sujets séjournant 10 jours à une altitude de 6542m. Ce dernier a également rapporté que chez des alpinistes grimpant le Mont Everest (8850m), le déficit se chiffrait plutôt à 6,1 MJ/jour, et ce, principalement à cause d’un apport énergétique insuffisant. Ces données témoignent de la difficulté croissante de bien s’alimenter à plus haute altitude. Il importe toutefois de garder à l’esprit que la tenue d’un journal alimentaire n’était pas la préoccupation principale des sujets, donc les données ont une marge d’erreur à considérer.
L’augmentation de la dépense énergétique trouve explication d’abord avec l’augmentation du métabolisme de base (MB) allant de 6 à 30% selon les sujets et méthodologies utilisés (5, 9, 10, 13, 16, 19). De nombreux chercheurs ont démontré que le niveau de certaines hormones était augmenté lors de l’exposition aiguë et chronique à l’altitude. Un tel stress entraîne, entre autres, la sécrétion du cortisol, de l’adrénaline et de la noradrénaline. Celles-ci seraient les principales hormones responsables d’un MB supérieur en situation d’hypoxie (3–5, 9, 13, 20). Le coût énergétique engendré par la surcharge de travail du coeur et des poumons contribue aussi à son augmentation. Il semble cependant que le coût énergétique d’une contraction musculaire soit inchangé (9). Finalement, de par la nature même de l’exercice à être accompli et l’environnement (neige, glace, froid, pente, etc.), la dépense énergétique se trouve grandement augmentée (1, 5, 10).
Certains chercheurs ont souligné le fait que l’augmentation des besoins énergétiques pouvait être temporaire (5, 9, 13). Différentes hypothèses ont été posées. L’adaptation à l’altitude éliminerait graduellement la dépense inhérente au stress de l’exposition à l’altitude (5). D’un autre point de vue, il a également été proposé que la diminution progressive des dépenses énergétiques serait reliée au fait que la perte de poids entraîne avec elle une diminution des tissus métaboliquement actifs, ainsi que de la thermogénèse alimentaire, à cause d’un apport moindre (5, 9). En tenant compte de tous les changements physiologiques mentionnés précédemment, Pulfrey et al (15) ont estimé le coût métabolique du processus d’acclimatation à 2,2 MJ/jour (à 6000m). Pour leur part, Mawson et al (13) ont étudié toutes les composantes du métabolisme féminin lors d’un séjour à haute altitude pour en venir à la conclusion qu’un certain pourcentage (6%) de l’énergie requise demeurait inexpliqué. À la lumière de tout ceci, il semble impossible d’attribuer un comportement à toutes les populations étudiées puisque le sexe, le niveau de forme physique, l’alimentation, la génétique et autres, sont toutes des variables influençant la réponse physiologique (3, 9, 13). Une seconde explication pour la balance énergétique tendant à s’équilibrer avec l’adaptation à l’altitude est l’apport calorique croissant au fil du temps (9, 22). En effet, Westerterp (22) a trouvé (à 6542m) que la dépense énergétique ne variait pratiquement pas, tandis que la consommation d’aliments s’améliorait sur une période de trois semaines, diminuant donc le déficit.
Une autre hypothèse ayant été suggérée est la malabsorption possible des nutriments. Cependant, la majorité des études s’y étant attardé ont refusé de lui attribuer une réelle part des responsabilités, du moins jusqu’à une altitude de 5500m (5, 9, 11, 13, 15, 22). Kayser et al (9) ont émis l’hypothèse, sans toutefois la vérifier, que lors d’un séjour en extrême altitude (> 7000m), le tube digestif pouvait perdre de sa capacité d’absorption à cause de la très faible pression partielle d’O2. Cette même équipe a aussi remarqué une légère malabsorption des lipides et glucides à altitude de 6300m, mais celle-ci ne peut expliquer qu’une infime proportion du déficit énergétique.
Lors des premiers jours de l’exposition à l’altitude, la perte de poids est principalement due aux changements du métabolisme hydrique de l’organisme. La perte corporelle d’eau est entre autres causée par l’hyperventilation, l’inhalation d’air sec, les faibles apports hydriques et la diurèse (4, 8–10, 18).
Outre les pertes en eau, la perte de poids implique aussi celles de masses maigre et adipeuse. La proportion de chacune n’est pas encore connue avec certitude, et fait objet de controverse. Westerterp (22) a évalué la perte de masse adipeuse supérieure à la perte de masse maigre, qui elle n’était même pas significative. De son côté, Pulfrey (15) réfère trois études menées dans une chambre hypobarique. Ces dernières démontraient que la masse maigre était perdue à un rythme plus élevé que la masse adipeuse. Toutefois, ces études évaluaient les changements de la masse corporelle par des méthodes telles la mesure des plis adipeux et la circonférence brachiale, et se basaient sur la présomption que la masse maigre a un facteur d’hydratation de 73,2%. Or, l’altitude engendre souvent une diurèse, une déshydratation ou au contraire des oedèmes. Dans tous les cas, les mesures des changements physiques doivent être interprétées prudemment en attendant les améliorations technologiques nécessaires.
Les hommes et les femmes réagissent bien différemment au stress de l’altitude. En ce qui a trait à la balance énergétique, plusieurs données laissent croire que les femmes sont moins affectées. Par exemple, le manque d’appétit, connu de tout alpiniste lors de l’arrivée en haute altitude, est de plus courte durée. L’appétit retrouverait une valeur semblable à celle du niveau de la mer en une semaine, tandis qu’il demeure diminué tout au long du séjour chez les hommes (5). Aussi, Kayser (9) rapporte que le sexe influencerait directement la perte de poids, les femmes en perdant moins que leur congénères masculins.
Utilisation des macronutriments
En situation de déficit énergétique, l’organisme doit puiser dans ses réserves afin de subvenir à ses besoins. Le compartiment protéique ne sera pas épargné et sera donc utilisé comme source d’énergie. De plus, les modifications hormonales provoquées par l’altitude suggèrent aussi que les protéines peuvent devenir un carburant important lors d’exercice en de tels milieux (5, 9). Les taux d’insuline baissent, alors que ceux de cortisol, d’adrénaline et de noradrénaline augmentent. Ces changements sont reconnus pour favoriser le catabolisme des protéines et diminuer leur synthèse (9, 10). Lors de séjours prolongés en haute altitude, les protéines seront une source coûteuse d’énergie. Cela est particulièrement vrai lorsque la balance énergétique est négative, puisque l’oxydation des glucides diminue avec le temps si l’apport alimentaire est inadéquat (5).
Roberts (16) pour sa part, a démontré que malgré les taux circulants d’acides gras en haute altitude (4300m) supérieurs à ceux du niveau de la mer, leur utilisation par les muscles était inchangée. Ce chercheur explique ce résultat par l’environnement hormonal (un taux d’insuline inchangé et des taux d’adrénaline et de glucagon augmentés) favorable à la lipolyse, donc à la présence d’acides gras libres dans le sang. Les sujets de cette étude étaient toutefois en balance énergétique et protéique, ce qui n’est pas le cas dans toutes les études observant les mêmes paramètres. Roberts renforce ses affirmations avec la théorie qui veut que l’utilisation des lipides comme source d’énergie sera maximale lors d’exercices effectués à 40-60% du VO2max. Or, tel qu’il a été mentionné précédemment, un travail donné, accompli à 40 ou 50% du VO2max au niveau de la mer, exigera une intensité (pourcentage du VO2max) supérieure en haute altitude. Ainsi, l’utilisation des lipides comme carburant est défavorisée au profit des glucides. Brouns (4) avait également déjà fait mention de cette théorie en disant que la disponibilité des glucides était le facteur limitant la performance en haute altitude. L’utilisation de lipides comme source énergétique découlerait de la balance énergétique négative (état métabolique propice au catabolisme). Le faible apport alimentaire, et donc de glucides, abaisse les réserves glucidiques, entraînant donc un mécanisme d’adaptation, soit l’utilisation des réserves adipeuses en vue de préserver celles de glycogène. Ceci expliquerait en partie la performance physique amoindrie.
Parmi les raisons servant à expliquer la diminution de l’utilisation des lipides comme source d’énergie, on entend souvent parler du moins bon rendement de leur oxydation. L’oxydation des glucides fournit plus de calories pour chaque mole d’oxygène utilisée et est donc avantageuse pour les échanges gazeux pulmonaires en milieu hypoxique (2, 9, 10, 17).
Une fois encore, la situation des femmes est différente de celle des hommes: l’exposition à la haute altitude altère l’utilisation des substrats de façon pratiquement opposée. Les oestrogènes et progestérone seraient en partie responsables des différences (2). Plusieurs études tendent à démontrer que la gente féminine dépendrait moins des glucides et utiliserait davantage ses réserves adipeuses, et ce, malgré un équilibre énergétique. Chez les messieurs, ce phénomène a été observé seulement s’ils étaient en déficit énergétique et non s’ils étaient en équilibre. D’autres études chez les hommes ont obtenu des résultats laissant penser que l’oxydation du glucose était plus élevé en haute altitude qu’au niveau de la mer, et que cette valeur demeurait supérieure tout au long du séjour en altitude (2, 17). Cependant, des différences méthodologiques peuvent expliquer les discordances. La plus importante est que les hommes en question étaient des sujets non-entraînés, alors que les femmes à l’étude l’étaient. Or, il a été démontré que la moins grande utilisation de glucose est une adaptation apportée par l’entraînement. L’utilisation d’acides gras pourrait être augmentée telle que le suggèrent des valeurs de quotient respiratoire abaissées (5) et l’environnement hormonal favorable à la mobilisation, au transport et à l’utilisation des acides gras (4).
Dans une revue de la littérature, Braun (2) a ressorti que les femmes utilisaient moins de glucides (et glycogène) lors de situations où les catécholamines sont élevées. Il mentionne également que pour un exercice à intensité donnée, elles utilisaient plus de lipides et moins de glycogène que les hommes. Bien que l’oxydation des glucides permette une économie d’énergie et d’oxygène, il a été proposé que l’oxydation des lipides pouvait avoir lieu dans le but de préserver des réserves de glycogène.
La plus grande dépendance envers le glucose après acclimatation serait une adaptation observée chez les sujets recevant suffisamment d’énergie pour couvrir leur besoins mesurés. Ainsi, un plus grand apport en glucides exogènes permettrait une meilleure utilisation du glucose sanguin, donc une épargne des réserves glycogéniques. La situation n’est pas transposable aux cas de balance énergétique négative (16, 17).
Lors de l’exposition immédiate à l’altitude, le « turnover » glucidique au repos demeure inchangé comparé au niveau de la mer, mais est augmenté à l’exercice. Toutefois, après acclimatation à 4300m d’altitude, ce débit de renouvellement affichait des valeurs supérieures à celles du niveau de la mer, en situation de repos et à l’exercice (2, 7). Étonnamment, les taux d’insuline à l’altitude ne sont pas différents de ceux au niveau de la mer. Il a donc été suggéré que des signaux intramusculaires pouvaient être responsables de la régulation de l’utilisation du glucose en altitude (17). En ce qui concerne la réponse glycémique à la suite de l’ingestion d’un repas, elle a été évaluée moins importante en haute altitude, bien que les taux d’insuline soient les mêmes qu’au niveau de la mer (2, 17). Ceci suggère une efficacité augmentée de l’insuline.
Au niveau de la mer, l’utilisation des glucides comme source d’énergie augmente lors d’exercices de haute intensité. À des altitudes élevées, alors que pour effectuer un travail à une puissance donnée, l’intensité relative est plus importante, l’oxydation des glucides comptera aussi pour une plus grande proportion de l’énergie fournie (2, 5, 17). Plusieurs recherches ont souligné que, de façon naturelle, les préférences nutritionnelles s’orientaient vers les aliments riches en glucides (5, 9, 15).
Pendant les premiers jours d’un séjour en altitude, le haut taux de catécholamines conduit à une glycolyse anaérobie excessive, pouvant être responsable d’une fatigue prématurée (20). La faible disponibilité des réserves de glycogène et la synthèse réduite des intermédiaires du cycle de Krebs en seraient à l’origine. Toutefois, Wagenmakers (20) stipule qu’après 2 semaines passées à moins de 5000m d’altitude, il y a acclimatation, et que les réserves de glycogène sont pleines à nouveau. La meilleure capacité anaérobique a aussi été rapportée ailleurs dans la littérature (5, 9, 18) et serait accompagnée par une plus grande efficacité des systèmes musculaires de tamponnement. Les mécanismes qui en découlent ne sont toutefois pas très bien connus.
Les connaissance s’acquièrent lentement mais sûrement
L’organisme des gens non habitués à l’altitude doit subir une panoplie d’adaptations lorsqu’il y est exposé. Les manifestations du mal de l’altitude et de l’acclimatation varient grandement d’un individu à l’autre. Malgré la controverse qui règne sur plusieurs aspects du sujet, il est possible de tirer quelques lignes directrices. Tout ce qui entoure la dépense énergétique témoigne d’un meilleur consensus que les changements associés au métabolisme des macronutriments qui eux, semblent moins bien élucidés. Les très grandes variations qui distinguent les recherches entre elles sont un facteur évident expliquant les divergences des résultats. En effet, les méthodologies utilisées sont si diversifiées en ce qui a trait aux sujets (sexe, niveau d’entraînement, âge, poids, génétique, etc.), à la durée des séjours en altitude, à l’altitude atteinte, aux méthodes de mesures, etc. qu’il est difficile d’espérer un parfait accord. Afin de comprendre davantage les changements et leurs mécanismes réels, la communauté scientifique poursuit activement ses recherches dans le domaine.
Références :
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