Je vous présente mon journal de bord. C’est la transcription de ce que j’ai raconté par téléphone, la forme du texte en témoigne.
Bonne lecture !
Je vous présente mon journal de bord. C’est la transcription de ce que j’ai raconté par téléphone, la forme du texte en témoigne.
Bonne lecture !
11.11.01 - Punta Arenas / 20 H 08, heure du Chili - 18 H 08, heure de Montréal
Nous sommes dimanche le 11novembre 2001. Ici tout va bien. On est bien rentré à Punta Arenas dans la nuit de vendredi à samedi, assez fatigués de tous ces vols d'avion. Mais tout y était, tous nos bagages et il ne nous manquait absolument rien. Une fois rendus à Punta Arenas, nous ne dormons que quelques heures et nous pensons déjà à l'organisation des premiers préparatifs vers l'Antarctique. Ensuite c'est le départ vers le Parc National de Torres del Paine, situé à environ à 450 kilomètres au nord de Punta Arenas. C'est cette formation géologique très spéciale de la fin de la chaîne de montagnes des Andes, avec ses grandes tours à plus de 2 000 mètres d'altitude, c'est très très beau.
On est installé à une soixantaine de mètres d'altitude. On n'est pas très haut, mais les randonnées, l'entraînement se font avec de bons sacs à dos des heures et des heures de temps, en faisant beaucoup d'altitude, beaucoup de montée, beaucoup d'entraînement, on s'est préparé.
Ici, c'est le printemps. Donc, ça commence à verdir. Il y a des pissenlits, les oiseaux sont tout contents, le soleil se couche vers 22 H et se lève vers 5 H 30 du matin. Il vente constamment, ce qui est fréquent à la base de l'Amérique du Sud. Près du Cap Horn, les conditions météorologiques changent souvent. En quelques minutes, il peut y avoir du fort vent, des nuages, deux ou trois grains de neige, puis le soleil apparaît, le vent s'arrête, il fait chaud. C'est très très instable.
Plus on regarde vers le Sud, au-delà, loin, loin, il y a ces grands morceaux de glace au-delà des frontières de l'Antarctique qui nous attendent.
Retrouver tous ces endroits à Punta Arenas me rend un petit peu nostalgique. Je revis tout, je revois les endroits que j'ai connu lors de mon expédition vers le pôle Sud, les préparatifs à Punta Arenas, etc... ce sont les plus beaux moments... Bernard
13.11.01 / 16 H 34 heure du Chili - 14 H 34, heure de Montréal
Nous sommes toujours dans le Parc National de Torres Del Paine à 450 kilomètres au nord de Punta Arenas, à l'entraînement et aux préparatifs. Nous sommes dans une région de glaciers et il y a de très très forts vents, le temps est très instable. Nous devons retourner à Punta Arenas bientôt, peut-être demain, pour vérifier si notre départ vers l'Antarctique est toujours prévu pour le 16.
Il semble que les conditions météorologiques extrêmes se soient installées sur l'Antarctique, actuellement, ce qui pourrait retarder notre départ. Nous utiliserons pour le vol de Punta Arenas vers l'Antarctique, un avion russe. Je vous donnerai les coordonnés de ces types d'appareils plus tard. Pour l'instant nous savons qu'il s'agit d'un avion russe et c'est toute l'information que nous avons. Rendu en Antarctique, nous utiliserons deux types d'avion, un DC-3 et un Cessna 185 probablement.
Le lac Grey
Nous sommes aujourd'hui sur les rives du lac Grey. Ce lac est particulier parce qu'il reçoit le glacier qui porte le même nom, le glacier Grey, le plus important glacier du Parc de Torres Del Paine au sud de la Patagonie. Il mesure plus de 40 kilomètres de long et il se jette dans ce lac après peu d'altitude, environ une soixantaine de mètres plus haut que le niveau de la mer et il se jette dans le lac sur une largeur de 7 kilomètres. Ce glacier est particulier par le fait qu'il soit freiné, juste à son arrivée, par une immense île au milieu du glacier qui lui barre un peu la route. Donc, ce glacier est forcé de s'évacuer par les deux côtés de l'île. Cette île a 400 mètres de hauteur. C'est comparable, par exemple, à presque la montagne de Bromont. Ce glacier est affecté par le réchauffement de la planète car depuis 5 ou 6 ans, on note un recul de presque 800 mètres. On voit d'ailleurs les stries sur la roche laissées par le passage du glacier qui sont assez récentes si on peut dire, et c'est un glacier qui donne naissance à beaucoup d'icebergs, pas de très grande taille, mais qui peuvent quand même atteindre une vingtaine de mètres de hauteur. Il prend évidemment naissance beaucoup plus haut sur les calottes glaciaires, mais lorsqu'il arrive très bas, il y a de la forêt. Contrairement par exemple, lorsqu'on voit des glaciers dans les Alpes Françaises, la fin du glacier arrive à un endroit où la végétation est très peu dense, tandis que là, il y a des arbres tout près. Donc, il y a un contraste assez fabuleux.
C'est le printemps ici. À proximité de ce glacier, des montagnes laissent apparaître le printemps, avec ses pissenlits et une petite flore que l'on connaît aussi dans notre pays au printemps. Il vente constamment; ceci est propre aux saisons printanières et estivales de la Patagonie. Curieusement, c'est l'hiver que le vent se calme, probablement parce que les chocs entre les températures sont moins importants.
Nous avons fait de longues randonnées en montagne, toujours dans le but de s'entraîner et de nous mettre un peu dans l'ambiance de l'expédition et aussi de profiter de ce décor qui est unique. On doit dire que le Parc Torres Del Paine est également un site protégé. C'est très beau, un site unique! Une partie est assez visitée, mais pour accéder tout près du massif montagnard il n'y a que des sentiers souvent avec de forts dénivelés pour s'approcher des tours des sommets.
16.11.01 / 10 H 10, Chili - 8 H 10, Montréal
Nous sommes de retour à Punta Arenas après notre entraînement dans le Parc Torres del Paine. Nous avons appris hier que le vol ne serait pas avant le 21 novembre. Il faut plusieurs jours de très beau temps pour pouvoir permettre un vol entre l'Amérique du Sud et l'Antarctique. Même si aujourd'hui le 16, le temps devient beau le vol ne sera pas avant le 21 novembre.
Cela nous donne donc plus de temps ici pour encore mieux préparer notre équipement, voir à toute la logistique. Nous en profitons aussi pour faire quelques visites à Punta Arenas.
18.11.01
Lorsque nous étions à Punta Arenas en attendant notre départ vers l'Antarctique, il y a eu un article d'écrit à notre sujet, Nathalie et moi, et qui est paru dans le journal El Magallanes du 18 novembre 2001, le journal le plus au Sud du monde.
19.11.01
Nous sommes toujours à Punta Arenas. Notre départ est prévu pour le 21 ou le 22. Les dernières photos satellites de météo démontrent encore de très fortes turbulences et du très mauvais temps sur l'Antarctique.
J'en profite pour expliquer un petit peu Punta Arenas. Cela signifie "Pointe de sable". C'est une ville de 125 000 habitants, fondée en 1848. Cet endroit, ainsi que le Détroit de Magellan, ont été découverts par l'explorateur portugais Magellan en 1520. Il voulait trouver un passage beaucoup plus tranquille à l'intérieur des terres pour éviter les très fortes tempêtes maritimes du Cap Horn (c'est au Cap Horn ce que sévissent les plus fortes tempêtes maritimes sur terre). Au milieu de la ville, il y a un parc et une statue rappelant l'exploit de Magellan. On y voit Magellan, et assis à ses pieds, il y a deux Indiens.
La statue de Magellan
Sur cette statue il y a une légende qui dit que si on embrasse le pied de l'un des indiens de cette statue, cela nous portera chance et signifie que nous reviendrons vivants si nous allons encore plus au sud. Cela nous concerne, puisque aller en Antarctique, c'est d'aller beaucoup plus au sud qu'ici. Nous avons donc embrassé le pied de l'Indien tout comme nous l'avions fait en 1995 avant notre départ pour l'Antarctique.
Punta Arenas vit principalement d'élevage de moutons et de la pêche de crabes géants et différents fruits de mer. C'est aussi un port assez important. Le fait que Punta Arenas soit sur le bord du Détroit de Magellan lui offre une assez bonne protection contre les vents, quoique toujours présents ici à Punta Arenas.
20.11.01 - Punta Arenas / 16 H 15, Chili - 14 H 15, Montréal
Aujourd'hui bonne nouvelle. Un premier vol a pu se rendre en Antarctique.
On vous explique comment ça se passe.
D'abord, il y a un DC-3, un avion canadien, avec à bord un seul équipage formé d'un pilote, d'un copilote, de quelqu'un qui s'occupe des radios et un mécanicien. Quatre personnes seulement. Ce DC-3 est parti de Punta Arenas il y a trois jours, s'est posé sur la péninsule Antarctique dans une base scientifique britannique juste à la pointe Antarctique. De là, ils ont essuyé quelques bonnes tempêtes, mais ce matin, très tôt, le DC-3 a pu enfin décoller en direction de Patriot Hills, ce qui constitue le point d'arrivée de l'expédition.
Ce DC-3 a pu décoller ce matin après un vol de quelques heures. Il a pu survoler et se poser sur la glace. Il n'y a pas de piste préparée. C'est une piste, que l'on peut appeler naturelle, sans aucune préparation. C'est la première fois cette année qu'un avion se pose à Patriot Hills. Ils ont atterri en mi-journée. Ils ont constaté l'état naturel de la glace et ils ont fait une première communication radio pour nous dire que nous aurons la possibilité de nous envoler vers l'Antarctique dans la soirée de jeudi le 22 novembre, ou très tôt vendredi matin le 23.
Ilyushin-76
L'avion que nous utiliserons sera un avion russe. Le type d'avion s'appelle Ilyushin-76. C'est un très gros avion avec quatre réacteurs. L'avion vide pèse 90 tonnes. Il utilisera pour se rendre de Punta Arenas jusqu'à Patriot Hills 35 tonnes de carburant pour un aller simple et il pourrait prendre 50 tonnes en cargo (en bagages si on peut dire). C'est un avion qui vole à 800 km/heure. Il y a une distance d'environ 3 000 km qui sépare Punta Arenas de Patriot Hills, soit environ 4 H 15 de vol à une altitude de 9 000 à 10 000 mètres. Le capitaine s'appelle Vladimir. C'est un équipage de six russes qui sont de grands spécialistes avec énormément d'expérience pour réussir à se poser sur ces espaces glacés.
Cet avion se posera sur roues, et non sur skis comme le DC-3, sur une piste à flanc de montagne. Cette piste est un champ naturel de glace vive, balayée par les vents.
Actuellement à Patriot Hills, il vente à plus de 90 km à l'heure, la glace est vive et cahoteuse, mais on estime que le très gros avion Ilyushin-76 sera capable de poser tout l'équipement, les gens qui doivent faire les communications à Patriot Hills, tout le personnel de sécurité ainsi que les membres de différentes expéditions avec leurs différents projets en Antarctique.
Notre départ est donc prévu, si le beau temps tient bon et si le vent diminue légèrement en Antarctique, pour jeudi soir ou vendredi matin. On considère cela comme une très bonne nouvelle. Nous sommes très encouragés. Ici, on a connu des alpinistes qui ont déjà attendu près d'un mois à Punta Arenas pour les premiers vols.
Dû aux conditions météorologiques défavorables de cette année, ce vol de l'Ilyushin-76 sera le premier vers Patriot Hills.
22.11.01 / 6 H 00, Chili - 4 H 00, Montréal
Nous sommes toujours à Punta Arenas.
Nous venons d'apprendre qu'il fait toujours mauvais en Antarctique, que les conditions météorologiques qui devaient s'améliorer, ne s'améliorent pas. Il n'y a donc aucun vol de prévu avant samedi. Nous souhaitons donc pouvoir prendre l'Ilyushin cette journée-là et puis se rendre en Antarctique.
Nous espérons que la température, lorsque nous serons là-bas, sera assez belle pour qu'on puisse faire notre expédition de façon sécuritaire et puis rapide aussi.
Nous avons très très hâte de partir. Nous marchons énormément pour garder la forme et nous espérons vous donner des nouvelles très prochainement et vous dire qu'enfin nous sommes rendus.
24.11.01 / 18 H 15, Chili - 16 H 15, Montréal
Eh bien, nous sommes toujours à Punta Arenas. Nous avons des rapports météo à toutes les trois heures depuis 6 heures ce matin pour vérifier les conditions météorologiques sur l'Antarctique. Il y avait eu une accalmie de vent hier, mais la nuit dernière les vents ont repris et on attend toujours, d'heure en heure, un éventuel départ. Tout est donc prêt. Le départ peut avoir lieu à n'importe quelle heure, même dans la nuit. Ici, à Punta Arenas, il y a de la nuit, mais en Antarctique, il n'y a pas de nuit. Donc, cela facilite l'atterrissage de l'avion à toute heure.
Nous sommes donc sur un pied d'alerte, nous attendons toujours, et cela depuis le 16 novembre. On espère toujours que les conditions météorologiques s'amélioreront dans les heures qui suivent afin de démarrer notre expédition.
Malgré l'attente, le moral est excellent et nous profitons de ce long temps d'attente pour se concentrer un peu mieux et prendre cela avec beaucoup de philosophie. Nous ne pouvons absolument rien y faire. Ce sont les conditions extrêmes de l'Antarctique qui décident de notre horaire.
Voilà, c'était le message pour aujourd'hui. Peut-être qu'il en y aura un autre plus tard si nous avons un avis de départ.
25.11.01 / 16 H 00, Chili - 14 H 00, Montréal
Eh bien ! Nous sommes encore à Punta Arenas. Les conditions météorologiques nous empêchent toujours de nous envoler vers l'Antarctique. Nous avons maintenant des rapports de météo à toutes les trois heures, jour et nuit. Donc, le prochain sera à 18 H 00 et ainsi de suite, pour avoir un avis au sujet du décollage. Évidemment, tout est prêt et nous n'aurons que quelques minutes pour prendre tous les effets. Tout notre matériel d'expédition est déjà à bord de l'avion, il ne nous reste que des effets personnels à apporter avec nous dont un petit sac à dos de jour et nous nous tenons prêts.
Quant aux conditions météo, tantôt les vents se calment, tantôt se lèvent. Mais quand les vents se calment, les masses nuageuses également s'y installent, s'accrochent au massif montagneux de la chaîne Ellsworth en Antarctique et donnent ainsi un plafond nuageux assez bas, ce qui empêche toute visibilité pour un très gros avion comme l'Ilyushin, un avion à réacteurs, de se poser sur une piste naturelle, non entretenue.
Voilà donc le compte rendu d'aujourd'hui. On attend heure après heure. Nous sommes le 25 novembre. Notre départ aurait dû avoir lieu le 16 novembre et il n'y a toujours aucune personne qui a pu atterrir pour tout de suite dans le projet d'expédition qu'on entreprend vers le mont Vinson.
Il faut être patient. Nous attendons que l'Antarctique nous ouvre ses portes...
Voilà, c'était le rapport du 25 novembre 2001, dimanche 16 heures.
26.11.01 / 15 H 00, Chili, 13 H 00, Montréal
Nous sommes toujours à Punta Arenas!!!
Les conditions météorologiques en Antarctique ne s'améliorent pas du tout. Il y a de fortes masses nuageuses, accompagnées de grands vents, ce qui rend impossible tout approche. Les prochains rapports météo nous seront fournis en toute fin de journée et nous saurons si nous pouvons partir ce soir, cette nuit ou demain. On ne le sait pas. Pour l'instant, aucun vol ne peut se poser. C'est impossible que l'avion puisse se poser dans ces conditions sur cette piste naturelle de glace.
Voilà, nous sommes en attente toujours ici à Punta Arenas en attendant notre vol.
27.11.01 / 18 H 30, Chili - 16 H 30, Montréal
Eh bien, voici le rapport d'aujourd'hui.
À 7 heures ce matin, nous avons eu un appel pour nous préparer assez rapidement car les conditions météorologiques semblaient s'améliorer. Une tendance à de meilleures conditions météorologiques avait été annoncée. Donc préparation: nous avons quitté ici l'hôtel à bord d'un autobus qui nous a conduit pendant une trentaine de minutes de route jusqu'à l'aéroport de Punta Arenas. De là, ce n'est pas un enregistrement classique, ce n'est ni un vol intérieur ni un vol international, mais un vol un peu particulier vers l'Antarctique. L'équipage russe était présent et on s'est mis à attendre les conditions météo. Les conditions météorologiques se sont vitement détériorées, avec des vents trop violents amenant des rafales de vent sur l'Antarctique, empêchant tout atterrissage possible de l'avion Ilyushin-76 sur la piste naturelle de Patriot Hills.
Nous avons attendu jusqu'à 15 H 30, presque toute la journée, avec des rapports météorologiques toutes les vingt minutes, sans toutefois obtenir aucune amélioration. Cette tendance s'est maintenue toute la journée. La décision fut donc prise de revenir à Punta Arenas, de récupérer nos bagages laissés ici à l'hôtel, mais tout le matériel, tout notre équipement est depuis plusieurs jours d'ailleurs dans l'avion Ilyushin prêt à un décollage.
Donc, nous sommes de retour, ici, à Punta Arenas, et puis nous attendrons avec des rapports météorologiques à toutes les deux heures environ pour un départ, on ne sait pas quand, pas du tout. Ce peut être en plein milieu de la nuit. Nous attendons donc une amélioration.
Ce fut un faux départ ! Tout était prêt. Nous avions chaussé le matériel d'alpiniste, si on peut dire, pour être prêt à débarquer en Antarctique dans une bonne tempête et dans une température quand même assez froide. Et nous sommes revenus au point de départ en attente de nouveau.
La seule chose qui nous console, c'est que la montagne ne changera pas d'endroit ni d'altitude et la glace ne fondra pas en Antarctique, ce qui fait qu'on essaie de se motiver comme on peut et puis on attend. Il n'y a pas d'autre chose à faire. On attend de nouveau un autre départ tentatif, n'importe quand, lorsque les conditions météorologiques en Antarctique montreront un petit peu d'accalmie.
28.11.01 / 19 H 40, Chili - 17 H 40, Montréal
Voici les détails de la journée.
Ce matin, il y avait des conditions météorologiques encore effrayantes sur l'Antarctique, mais à 15 H 00 nous avons eu un appel de l'aéroport. L'équipage russe demandait que les différents grimpeurs et skieurs s'y rendent pour un éventuel départ parce que les conditions météorologiques et les dernières photos satellites montraient des améliorations possibles sur l'Antarctique.
Nous nous sommes donc rendus à l'aéroport. À 16 H 00, nous y étions et on avait les rapports météorologiques à toutes les 20 minutes mais l'amélioration ne se confirmait pas. Les vents se relevaient de nouveau, les masses nuageuses arrivaient. On a attendu jusqu'à 19 H 00 avant que la décision soit prise par l'équipage russe pour notre retour à Punta Arenas et d'attendre un autre appel.
Ce qui fait qu'ici, maintenant, on rencontre d'autres alpinistes qui ont également comme projet l'ascension du Mont Vinson, qui eux avaient prévu, contrairement à nous, de partir en Antarctique fin novembre pour une escalade dans la première quinzaine de décembre, ce qui fait qu'on se retrouve plusieurs comme on pourrait dire, ceux de novembre et ceux de décembre. On est pas mal ensemble et on a eu l'occasion d'en rencontrer plusieurs. Il y a parmi eux des alpinistes norvégiens, d'Autriche, d'Écosse, ensuite un japonais, un australien, un alpiniste de Nouvelle-Zélande, quelques américains et quelqu'un de Roumanie. Et si ça continue comme cela, je vous avouerai bien franchement que le Père Noël également va se joindre à notre expédition puisque le temps passe et on commence déjà à parler de forts retards.
Le moral est au beau fixe. On est très concentré sur l'ascension de cette montagne et il y a peu de choses qui nous perturberont, en tout cas pas beaucoup pour l'instant. On attend une météo favorable. C'est donc évidemment un printemps antarctique exécrable, des conditions météorologiques épouvantables jusqu'à maintenant, ne permettant aucun vol sur l'Antarctique, sauf ce premier vol de DC-3 qui a pu se poser à Patriot Hills.
Voilà, c'est une attente pour tout le monde et il n'y a pas d'autres choses à faire. Lorsqu'on part pour l'aéroport ça fait curieux puisqu'ici à Punta Arenas c'est le printemps. Il y a des arbres en fleurs, il y a des lilas, des tulipes et on quitte toujours l'hôtel habillé en hivernal avec les grosses combinaisons de duvet, d'importantes et de très grosses bottes d'alpinisme, les anoraks, le bonnet prêt à la main, les gants, les sacs à dos et tout, puisqu'une fois embarqué dans l'avion l'Ilyushin, ce n'est pas très isolé, il fait froid, et 4 heures l/2- 5 heures plus tard, en descendant de l'avion à Patriot Hills, on est tout de suite dans la tempête de vent sur la glace à monter une petite tente de nylon. Et, de là nous attendrons le vol suivant, le DC-3 qui nous amènera au camp de base du Mont Vinson.
Donc, plus ça va, plus le contraste est grand entre nos vêtements, nos préparatifs et le temps qu'il fait ici à Punta Arenas. Dehors, on commence à manger de la crème glacée dans la rue. Les enfants termineront leurs classes dans une dizaine de jours pour leurs grandes vacances estivales. Alors, c'est le rythme qui s'installe ici.
29.11.01 / 19 H 00, Chili - 17 H 00, Montréal
Nous sommes enfin arrivés à Patriot Hills en Antarctique. L'Ilyushin-76 a pu enfin décoller à exactement 12 H 30, heure du Chili. Il y avait de très fortes rafales de vent sur le Chili, mais peu importait, car après quatre heures et quinze de vol, donc à 16 H 45, on s'est posé à Patriot Hills.
Il y avait de fortes rafales et avec le coefficient de vent, les températures doivent être à -40°C. Afin d'éviter tout dérapage, il a fallu beaucoup de distance avant que l'avion puisse freiner. C'est un avion qui se pose quand même à une vitesse de plusieurs centaines de kilomètres/heure. Tout a été parfait et on a pu récupérer tout notre matériel.
ON EST ENFIN EN ANTARCTIQUE!
Patriot Hills
Évidemment, le soleil est présent vu que c'est le printemps ici. Il y a des nuages accrochés aux montagnes à proximité de Patriot Hills.Il fait assez froid. Nous sommes à 876 mètres d'altitude.
Le programme maintenant est d'attendre que le vent se calme ici également pour pouvoir prendre un autre vol, n'importe quand. Ça peut être même demain matin pour s'envoler vers la base du Mont Vinson.
C'est avec beaucoup d'émotion que Nathalie et moi avons retrouvé l'Antarctique. On a marché, regardé très loin à l'horizon. Cela a fait renaître des souvenirs qui étaient endormis depuis quelques années. C'est très beau. C'est toujours aussi beau, la neige est toujours aussi blanche.
Enfin, on est arrivé et maintenant on vous appelle de la tente. Il vente fort à l'extérieur, mais peu importe, on est heureux ! On y est !
À NOUS MAINTENANT LE MONT VINSON.
30.11.01 / 17 H 35, Chili - 15 H 35, Montréal
Nous voilà enfin au camp de base du Mont-Vinson, c'est-à-dire à 2 200 mètres d'altitude.
Douglas DC3
Nous sommes partis de Patriot Hills à bord du DC-3 après 50 minutes de vol longeant la chaîne de Montagne Ellsworth. Un décor magnifique, extraordinaire, très beau, des montagnes qu'on a l'impression qu'elles sortent de la grande calotte glaciaire de l'Antarctique. Des falaises, des arêtes, des montagnes enneigées et aussi des rochers très noirs, très foncés. On s'est posé sur le grand glacier Branscomb avec le DC-3, avec tout le matériel et beaucoup d'équipement. Il y a eu un survol pour vérifier les crevasses. Une fois qu'on s'est posé, un Cessna était là, et nous y sommes monté pour faire juste 5 minutes de vol afin d'éviter les grandes crevasses qui séparent la piste du glacier de Branscomb jusqu'au camp de base du Mont Vinson. On s'est posé sur un glacier. Au débarquement, le vent était calme, il ne ventait plus, il faisait assez froid. On a tout de suite installé notre campement.
Nous avons une vue très impressionnante et très belle du sommet. Tout autour beaucoup d'autres sommets dont le sommet du Mont Shinn qui est juste l'autre côté du col et qui sépare le Mont Vinson du Mont Shinn.
Le camp de base
Les tentes sont installées et demain matin, on prépare notre départ en direction du camp I. Au départ, à partir d'ici il y a déjà quelques crevasses pas très loin du campement à une centaine de mètres (150 mètres). Il faudra bien évaluer le terrain pour se rendre jusqu'au camp I, ça devrait nous prendre entre six et huit heures de progression pour se rendre demain au camp I.
Là on est encore plus en autonomie, on utilise des traîneaux pour apporter notre charge jusqu'au camp II: nourriture, essence, tentes et tout le matériel d'escalade. À partir du camp II, nous laisserons les traîneaux puisque la pente est beaucoup plus raide. Nous devons escalader un glacier qui nous amènera jusqu'au camp III. Nous partirons donc du camp II avec moins d'équipement, beaucoup moins de vivres pour rapidement atteindre le camp III et y faire une tentative vers le sommet. Si toutefois le temps se gâtait, c'est un retour au camp II. En fait, le camp II dans notre stratégie servira de camp de base avancé là où on aura un peu plus de matériel. C'est pour cela qu'on utilise des luges en plastiques, aussi nommées pulkas, que l'on traîne derrière soi, les luges exactement comme celles que les enfants utilisent pour glisser et sur lesquelles on peut charger du matériel en plus d'avoir notre sac à dos, ce qui nous permet de transporter beaucoup plus de matériel.
Mais lorsque la pente devient trop raide, on ne peut plus les utiliser. Ici le glacier monte de 1 000 mètres jusqu'au camp II, sur une pente relativement douce qui nous permet de traîner ces luges en plastiques derrière nous. Mais après, c'est beaucoup plus raide, on doit utiliser des crampons, installer certaines cordes, il est donc impossible de traîner ces luges.
Voila un peu la stratégie et on espère être capable de communiquer avec vous dès demain.
01.12.01 / 20 H 00, Chili - 18 H 00, Montréal
Nous sommes partis du camp de base cet après-midi, à 14 H 00, parce qu'on attendait le soleil. Le camp de base est situé à 2 280 m d'altitude. Nous sommes partis au moment où il faisait le plus chaud parce que c'est déjà très très froid, spécialement la nuit et spécialement quand le soleil est derrière ou caché par une montagne, ou par les nuages. Alors on a les chances de notre côté. Nous avons donc progressé pendant 4 heures 20 minutes et nous sommes arrivés au camp I, un endroit où on a décidé de s'installer. Présentement, nous avons dépassé une zone de crevasses puis une zone de séracs. Les séracs sont des amas de glace qui se détachent des glaciers et qui peuvent s'écrouler n'importe quand. Nous avons trouvé un endroit que nous croyons sécuritaire et on y a installé notre tente. Nous sommes environ à 2 500 m d'altitude.
Lors de l'escalade nous progressons en cordée, c'est-à-dire que chaque alpiniste est relié par une corde et distancé d'environ 5 à 10 mètres, pour permettre, si un de nous tombait dans une crevasse, ou si la neige s'écroulait sous nos pas, que les deux autres ou un autre puissent le retenir. Donc, on progresse sur ce glacier qui monte régulièrement, mais qui a des sections très crevassées.
Aujourd'hui, le temps était très beau. Il faisait froid, mais aucun nuage et vers la fin de l'après-midi vers les 17 H 00, les nuages sont arrivés et en Antarctique lorsqu'il n'y a pas de soleil les températures chutent dramatiquement. Il fait évidemment très très froid, la neige est très sèche. On espère que le beau temps reviendra pour pouvoir poursuivre.
Objectif de demain: se rendre au camp II, juste au pied de cette pente très raide. À cet endroit le glacier est très crevassé, parsemé de séracs, cela ressemble à un gigantesque chou-fleur. Lorsqu'un glacier possède ces caractéristiques, on l'appelle cascade de glace. Nous prévoyons escalader ce chou-fleur après demain. Voilà un peu l'itinéraire qui nous attend.
Notre tente est installée. On cuisine à l'aide d'un petit réchaud. On fait fondre la neige et on utilise souvent les repas déshydratés ou lyophilisés, c'est-à-dire de la nourriture séchée à froid. C'est ce qui se cuisine le plus rapidement et c'est également ce qui est le plus léger et non périssable évidemment. De toute façon avec ce froid-là, il n'y a rien de périssable, sauf nous.
Donc, on file, on continue et puis à bientôt.
02.12.01 / 21 H 00, Chili - 19 H 00, Montréal
Nous sommes ici au camp II, à une altitude de 2 935 mètres mais nous voulions aller un peu plus loin aujourd'hui, et installer notre camp II à 3 050 m. Voici comment la journée s'est déroulée.
Nous sommes partis lorsque le soleil est arrivé sur les flancs de la montagne. On est toujours avec nos traîneaux, notre charge au complet. On a traversé un grand champ glaciaire, assez crevassé. Ensuite quelques pentes douces, pas très raides, pour nous amener à un endroit beaucoup plus raide où les montagnes se resserrent où on entre dans des passages beaucoup plus étroits, plus crevassés et surtout un peu plus raides. À une altitude de 3 000 mètres, en route vers le glacier très pentu qui nous mène au camp III, que l'on appelle la cascade de glace, il y avait en tournant vers cette étroite vallée où se jette ce glacier, des rafales de vent très fortes, qui nous empêchaient presque d'avancer. Nous avons donc progressé lentement. Quelques petites engelures au visage, mais rien de grave. On a atteint l'altitude prévue, soit 3 050 mètres, pour y installer notre camp II, mais c'était impossible en raison des rafales de vent et de neige. On a dû retourner, rebrousser chemin et redescendre un peu, quitter ce couloir très étroit entre les montagnes pour aller se mettre à l'abri à une altitude à 2 935 mètres.
La tempête se lève, les rafales secouaient la tente tout à l'heure de façon assez violente. Le beau temps qu'on a eu hier semble terminé. Toutes les arêtes rocheuses au-dessus de nous sont constamment soufflées, c'est l'Antarctique qui parle fort encore une fois.
Donc demain, nous surveillerons le temps qu'il fera et on avisera de notre progression. Si la tempête sévit toujours, on devra absolument rester ici. Ce serait très dangereux de s'engager sur cette cascade de glace dans une tempête.
En passant, le moral est très bon. C'est très beau. On dort bien, on mange correctement et c'est parfait. On espère juste un peu de beau temps.
03.12.01
Nous sommes toujours au camp II, c'est-à-dire qu'hier, suite à notre tentative d'aller un peu plus haut, on s'est rendu vers 3 050 m. On a dû rebrousser chemin, pour se mettre à l'abri des très fortes rafales de vent. Nous étions donc à l'abri, mais ce fut de courte durée. Quelques heures plus tard, le vent a rejoint le campement.
Les rafales se sont levées toute la nuit. Il y a actuellement une tempête terrible, des vents très forts et très puissants, d'une vitesse d'environ 80 à 100 kilomètres/heure, transportent énormément de neige. Il serait très dangereux de s'aventurer à l'extérieur. C'est totalement impossible. On est donc resté au campement. Quelques sorties à l'extérieur pour voir si le temps allait s'améliorer. Mais ça ne semble pas vouloir changer. Les vents, les rafales sont terribles. Tout notre matériel restera sous la tente pour bien le protéger. Les vents transportent de la neige, des bancs de neige !
Jusqu'à maintenant, nous sommes toujours à 2 945 mètres. Et on attend toujours que le beau temps revienne.
Ce matin ça ne s'améliorait pas, au contraire, ça empirait. Une visibilité de 5 à 10 mètres rendant toute progression totalement impossible, en raison des crevasses qui nous entourent, et tout ce qui pouvait avoir de danger par un froid pareil. Nous sommes donc restés sur place. On en a profité pour faire un espèce d'inventaire de tout le matériel et surtout de bien s'organiser pour que la tente reste bien fixée ainsi que tout le matériel qui est à l'extérieur de la tente pour que rien ne s'envole, pour que rien ne parte dans la tempête.
Voilà, cela a été le programme d'aujourd'hui.
04.12.01 / 21 H 00, Chili - 19 H 00, Montréal
Nous sommes actuellement au camp de base. Oui, au camp de base à une altitude de 2 200 m. C'est que ce matin là-haut, à 2 935 m d'altitude, au camp II, la tempête a soufflé toute la nuit avec des vents violents. C'était de pire en pire. La tente a tenu bon. Cette nouvelle tente Eureka, est extraordinaire, il n'y a pas d'autres mots. Elle a tenu dans le vent avec des rafales de plus en plus fortes. Ce matin, la tempête devenait très menaçante, on avait de la difficulté à se tenir debout à l'extérieur de la tente. Il y avait des rafales énormes, on a donc décidé de rebrousser chemin, et de redescendre jusqu'ici au camp de base pour se mettre à l'abri. Les rafales étaient si fortes (on les évalue facilement à 80 noeuds), les vents rugissaient à plus de 145 kilomètres à l'heure, je peux vous assurer que j'ai connu des tempêtes de vent dans ma vie, lors de mes diverses expéditions, mais je pense que celle-là bat tous les records. Il n'y avait aucune visibilité, quelquefois ça pouvait nous soulever de terre, c'était à peu près INCROYABLE.
Il n'y a eu aucun bris ou perte de matériel. Rien ne s'est envolé au vent non plus. On s'est affairé à construire un mur de neige, faire un abri et laisser beaucoup de matériel là-haut qui nous sera utile au-dessus du camp II, de la nourriture par exemple, de l'essence, un réchaud et descendre simplement avec un sac à dos avec le minimum pour rejoindre le camp de base. Mais, ici, il ne vente pas du tout. Pourtant à vol d'oiseau, nous sommes peut-être juste à 4 ou 5 kilomètres de là où nous étions. La visibilité était nulle là-haut, on n'y voyait absolument rien. Ici par contre, on est dans une masse de nuages, on n'a pas beaucoup de visibilité non plus, mais il n'y a aucun vent. Donc, pour l'instant on essaie de rester ici jusqu'au moment où là-haut ça s'améliorera pour pouvoir remonter de nouveau, rejoindre notre dépôt, notre cache, si on peut dire, retrouver tout notre matériel, réinstaller notre tente là-haut au camp II et continuer l'ascension. Évidemment, ça reporte notre tentative sommitale de quelques jours au moins.
En résumé, ce sont des vents violents qui nous ont obligés à redescendre aujourd'hui. La situation devenait menaçante et augmentait les risques de souffrir d'hypothermie. Avec le coefficient de vent, je ne sais pas quelle température on pouvait avoir au visage, mais les engelures venaient presque instantanément au bout du nez et sur toutes les parties exposées.
06.12.01
Aujourd'hui ce fut une excellente journée. Donc, départ du camp de base...
Lorsque la tempête s'est élevée, on a laissé beaucoup de choses temporairement à l'abri. On a retrouvé notre dépôt à 13 heures 45 et ensuite on a repris nos traîneaux. On y a mis la charge maximum et on est monté au camp II, soit juste au pied de la cascade de glace à une altitude de 3 120 mètres.
Nous sommes donc à 3 120 mètres. Nous sommes arrivés ici à 14 heures 45 et c'est une ascension très rapide. On tire des charges qui sont très lourdes. Donc, nous avons fait une progression de 950 mètres de différence entre le camp de base et le camp II, en 4 heures 35.
Nous sommes très heureux. Il faut dire qu'il n'y a aucun vent, assez froid par contre, avec quelques flocons de neige. Mais là, à notre campement, c'est assez extraordinaire; il y a de gros morceaux de glace qui se sont détachés du glacier et il y en a un qu'on appelle un sérac d'un bleu pur. C'est un immense morceau de glace haut comme environ un immeuble de trois étages, et qui nous protège des vents qui descendent du glacier. Vous savez qu'en montagne, les vents descendent, ne montent pas vers le haut du glacier. Ce sont des vents qui sont refroidis par la glace, l'air devient plus froid et l'air froid est plus lourd, il descend du glacier. Ce serac peut-être là depuis des années, peut-être dix ans, peut-être quinze ans, puisque ici ça ne fond jamais. D'ailleurs, je pourrais vous dire que ça ne fond jamais puisqu'on est presque en plein été en Antarctique et je peux vous garantir qu'il fait toujours très froid. Donc, ce gros sérac (bloc de glace) nous sert d'abri et nos tentes sont installées tout près de là.
Le programme de demain est de ne partir qu'avec un sac à dos. On laisse les traîneaux ici, on prend le sac dos, une très grosse charge: crampons, piolets, cordes et on escalade cette cascade de glace qui a 600 mètres d'élévation. C'est-à-dire que c'est un mur de glace, très pentu, jusqu'à 50 degrés d'inclinaison, qui est haut comme on pourrait dire le Mont-Tremblant ou le Mont Ste-Anne, environ 600 mètres de dénivellation pour atteindre le camp III à 3 700 mètres d'altitude demain soir, toujours si le temps le permet.
J'aimerais ouvrir une parenthèse. La croyance veut que les gens qui partent à l'aventure ce sont des gens qui n'aiment pas la routine et qui veulent s'éloigner de la ville, et s'éloigner d'activités qui sont très régulières. On donne souvent l'image qu'on n'aime pas la routine. Au contraire, en expédition, la réussite tient souvent à la qualité de la routine qu'on instaure..
Avec Nathalie, on se connaît depuis très longtemps, et avec plusieurs expéditions à notre compte, nous n'avons même pas besoin de se parler quand on installe le campement. Je fais toutes les tâches à l'extérieur, l'encrage de la tente, placer les bagages, les piolets, sortir toutes les choses des sacs à dos et je ne fais que lancer cela dans la tente, et Nathalie organise l'intérieur : sacs de couchage, matelas isolants, appareils électroniques, branchements et recharges de téléphone, carnets de notes, choses à sécher, et la nourriture. Tout se fait automatiquement et en sécurité... C'est comme ça. Il ne faut pas briser cette routine, elle devient efficace, sans perte de temps.
07.12.01 / 19 H 07, Chili - 17 H 07, Montréal
Nous sommes au camp III à 3 870 mètres.
En début d'après-midi, nous étions toujours dans une zone d'ombre en bas, c'est très froid et nous voulions profiter du soleil pour pouvoir monter cette cascade de glace. C'est une pente qui est parfois très raide ayant environ 600 mètres de dénivelé, Elle est assez crevassée, et surtout remplie de séracs, des immenses blocs de glace qui, par le mouvement du glacier, quelquefois déboulent ou conservent leur équilibre précaire. Il est essentiel d'avoir l'œil ouvert.
En fait, aujourd'hui, j'ai été assez distrait, dans le sens où je ne savais plus où regarder. Plus on montait, plus c'était beau à l'horizon. On voyait les plus grandes étendues glaciaires de notre planète. Jusqu'à l'horizon de la glace, des falaises abruptes, des crevasses bleutées, même si c'est dangereux, c'est quand même très beau. Ces séracs de toutes les formes, gros quelquefois comme des maisons de quatre, de cinq, de huit étages. On les longe, on passe dessus, on les contourne, on s'y abrite pour boire une gorgée de thé chaud. Il faut regarder bien en avant, ne pas marcher sur la corde, s'arrêter de temps à autre pour une photo, en fait je ne savais plus où donner de la tête tellement c'était beau, tellement c'était merveilleux. Ici, au camp III, on est installé sur un col, un immense plateau qui sépare le mont Vinson du mont Shinn qui est un peu plus bas que le mont Vinson de quelques centaines de mètres.
Il fait très froid. La moindre rafale de vent refroidit tout instantanément. L'attitude commence à compter, on est un peu plus essoufflé à 3 870 mètres et on a porté de très lourdes charges du camp II jusqu'au camp III, comme prévu. Au camp II, on a laissé les luges qui nous servaient à monter tout notre matériel. Pour atteindre le camp III, un sac à dos bien chargé : nourriture pour quelques jours, essence, réchaud, sac de couchage, vêtements, matériel électronique, trousse de premiers soins et de réparation, carnet de notes... Et pourtant, en altitude, chaque gramme devient lourd.
Maintenant au programme demain, croisons les doigts pour qu'il n'y ait pas de vent, très peu de vent, parce que ce serait le jour du sommet. Ce serait notre tentative sommitale demain.
Nous prévoyons entre huit et dix heures pour se rendre au sommet et revenir. C'est un fort dénivelé, environ 1 000 mètres de dénivelé et puis c'est très long. Il y a une arête très fine à la fin. Le sommet du mont Vinson est très difficile: une pente raide au départ, un terrain crevassé au départ et il y fait évidemment très très froid. Donc, on se prépare. C'est notre dernière nuit normalement avant la tentative sommitale. Il faut bien manger, bien dormir pour pouvoir réussir, atteindre le sommet du mont Vinson demain. On ne sait pas encore à quelle heure on partira. Ça dépend de notre sommeil de cette nuit.
08.12.01 / 11 H 22, Chili - 9 H 22, Montréal
Il n'y aura pas de tentative aujourd'hui. Voilà la nouvelle !
Le vent s'est élevé, a commencé à souffler vers 2 H 00 cette nuit et il y a des rafales d'environ de 30 noeuds, autour de 50 kilomètres à l'heure. Il ne fait pas très froid parce le temps est couvert, mais c'est quand même assez froid. Il y a de bonnes rafales de vent, mais rien de comparable avec l'autre tempête, mais quand même une tempête qui nous empêche toute progression, car il n'y a aucune visibilité. Il serait très dangereux de s'aventurer vers une tentative sommitale. On n'y voit absolument rien et puis, il faut simplement le dire, il serait inutile de faire une tentative sommitale, pas seulement à cause du danger encouru, mais aussi parce que nous allons au sommet pour voir quelque chose et dans ces conditions on y verrait rien.
Les 4 tentes sont rassemblées ici au camp III, sont attachées les unes aux autres par de la corde pour s'assurer qu'elles tiennent bien le coup, entourées de blocs de neige pour mieux affronter les rafales. Dans ces tentes, il y a une équipe américaine dirigée par Jason Edwards qui a vaincu l'Everest au printemps dernier et dans une autre, il y a un roumain du nom de Konstantin Lapatufu, qui a également vaincu l'Everest il y a quelques années.
Nous sommes donc trois "summiters" de l'Everest réunis. On est capable entre deux rafales de partager quelques souvenirs de la plus haute montagne du monde. Mais en attendant, on est confiné à notre tente encore une fois, au cycle du brossage, du dégivrage, du pelletage à l'extérieur, de tout vérifier pour que rien ne parte au vent et aucune tentative ne se fera aujourd'hui à moins que le temps miraculeusement s'ouvre, que le ciel devienne bleu, que le vent cesse. On pourra à ce moment-là partir très tard aujourd'hui, voire même cette nuit, ce qui serait très surprenant.
Le moral tient bon quand même. Ce sont les règles de la montagne. C'est la montagne qui impose son rythme. Il y a des ascensions qui peuvent parfois paraître un peu simples mais qui deviennent très compliquées dues aux conditions climatiques. Ici, il faut maintenant rationner un petit peu, faire attention à notre nourriture puisque nous étions monté au camp III avec trois ou quatre jours de nourriture, sachant que ça prend une journée à monter au sommet et y revenir. C'est la même chose pour l'essence qui fait fonctionner nos réchauds. On doit donc maintenant faire face à un rationnement.
Le même jour / 13 H 33, Chili - 13 H 33, Montréal
Le temps ne s'est pas amélioré, les rafales sont toujours autour d'une cinquantaine de kilomètres à l'heure. Il n'y a aucune visibilité, à plus de 10 à 20 mètres. Une neige très fine qui souffle avec cela, une température qui doit être à -25°C, - 30°C Rien ne s'arrange. On ne peut pas voir. Il n'y a aucun bout de ciel bleu. On n'a aucun repère pour voir si ça va se dégager. On se prépare à rester ici peut-être pour une journée ou deux. On se dit que si cette perturbation-là ressemble à la précédente, elle durera quelques jours. Mais curieusement, même dans cette tempête-là, je ne sais pas, mais j'ai le sentiment d'être privilégié quand même d'être en Antarctique, d'être sur ce beau continent, là où il n'y a aucune couleur, sauf la couleur des roches et le ciel bleu.
09.12.01
Nous sommes toujours sous la tempête au camp III, à 3 870 mètres. Un bonne tempête, les vents se sont levés, aussi forts que l'autre tempête que nous avons eu en milieu de la semaine dernière. Ça souffle très fort. Aucune possibilité de faire toute progression. Aucune visibilité. Beaucoup de neige, une neige très fine et qui crée des bancs de neige assez impressionnants à l'extérieur. On n'aperçoit presque plus la tente voisine qui est à deux mètres de la nôtre. Il s'est créé un banc de neige de plus d'un mètre cinquante de haut. C'est assez impressionnant et aussi cette neige très fine s'entasse sournoisement (comme je pourrais dire) pour écraser la tente littéralement. Ce qu'il faut faire évidemment, c'est sortir pour aller pelleter. Mais sortir, signifie qu'à la première ouverture que l'on fait, il y a des rafales, il y a beaucoup de neige qui entre dans la tente. Il faut sortir. On n'y voit absolument rien, on a beau mettre des lunettes de ski, on n'y voit rien. Il y a énormément de rafales, le visage nous givre instantanément et il faut pelleter. Pelleter délicatement évidemment pour ne pas heurter la tente. Il faut pelleter aussi pour retrouver des choses qu'on a laissées à l'extérieur. Puisqu'une petite tente dans les hautes montagnes, ce n'est pas très grand. Il y a deux vestibules à la tente, le premier devant est consacré à la cuisine où il y a le réchaud, les bols, les casseroles, le thermos, etc... On doit marcher, ramper entre tout cela et le deuxième à l'autre bout de la tente, est consacré à mettre les sacs à dos, les crampons, différents équipements qu'il n'est pas nécessaire d'avoir dans la tente. Aussitôt que l'on fini de pelleter, ça se remplit de nouveau. Mais en fait, ça nous active, ça nous tient le moral et on fait quelque chose.
Le reste du temps est consacré, si on est capable, à faire quelques photos et aussi à la cérémonie du brossage qu'on vous a déjà décrit plus tôt. On apporte une brosse en montagne, car c'est une chose essentielle. Nous sommes les seuls d'ailleurs à avoir une brosse ici. Tout le monde nous l'emprunte. En fait, on pourrait la louer, ça pourrait nous aider à payer notre billet d'avion, puisque depuis le 7 décembre, notre billet d'avion n'est plus valide. C'est le billet aller-retour que nous avions pour venir en Amérique du Sud, jusqu'à Punta Arenas. Il va falloir acheter un nouveau billet d'avion. C'est pourquoi je pense que la location serait une bonne idée !!!
Il y a une très belle collaboration entre tous les alpinistes quand on est dans des moments pareils, dans de fortes tempêtes. Il y a une belle entente, même si on ne se croise pas beaucoup à l'extérieur, mais chacun a son rythme, chacun fait ses choses, et chacun va faire le tour des autres tentes pour savoir si tout va bien.
Pour le soir ou bien quand on s'installe pour dormir, le sac de couchage, au contraire de ce qu'on pourrait croire, n'est pas chaud. C'est nous qui devons le réchauffer. Donc, quand on entre dans le sac de couchage, il est froid comme tout le reste. S'il fait -30°C le sac de couchage est aussi à -30°C. Et avant qu'il devienne à notre température, ça prend un bout de temps. On peut dire que ça prend environ une heure avant d'être vraiment confortable dans un sac de couchage. Avant cette heure, ce n'est pas très chaud, mais après cette heure-là, on a une petite technique: il y a une fermeture éclair à la tête du sac et il y en a une aussi au pied du sac de couchage. Après une heure, j'ouvre environ de 30 centimètres la fermeture éclair au pied de mon sac de couchage, je fais de même sur le sac de couchage de Nathalie, je glisse les pieds dans son sac de couchage, on se colle les pieds comme cela dans nos chaussette et j'arrive à lui réchauffer les pieds. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai les pieds plus chauds que les siens, et c'est ainsi qu'on s'endort dans l'Antarctique en rêvant à un ciel bleu et à des sommets.
C'était le rapport d'aujourd'hui. Nathalie vous parle maintenant de la nourriture
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Je veux vous parler un peu de la nourriture, ce qu'on mange sous la tente. Pour monter le glacier, il fallait minimiser le poids qu'on apportait. Nous avons pris un peu moins de nourriture qu'à l'habitude. Nous n'avions surtout pas prévu rester ici et on ne peut pas prévoir combien de jours de tempête on aura à supporter. Alors on doit faire très attention. On a déjà commencé à couper depuis hier sur l'essence, sur la nourriture. Je vous raconte un peu...
Le matin, Bernard commence avec un petit sachet de gruau. Normalement, il en prend deux. Une cuillère de café. Et c'est tout. Moi, je prends un demi sachet de chocolat chaud et quelques cuillères de céréales Granola. Le midi, nous mangeons quelques noix, quelques fruits séchés et le soir, une soupe avec du riz et des pâtes. Le repas se fera en un seul coup pour ménager l'essence, parce qu'on n'en a qu'un minimum et qu'il faut que ça dure pour trois jours. On reste un petit peu sur notre appétit. Ce n'est pas dramatique, mais on a bien hâte de manger un repas gastronomique à Montréal... !
Au revoir,
Nathalie
P.S. : Nous venons d'apprendre qu'au Québec il n'y a pas beaucoup de neige. Eh bien, ici, on a une bonne nouvelle, le ski est commencé. Oui, le ski est commencé depuis environ 500 000 ans. Sans aucune neige artificielle ! C'était la bonne nouvelle de la journée.
10.12.01
Hourra Hourra! ON EST AU SOMMET. ÇA Y EST...
NOUS SOMMES AU SOMMET DU MONT VINSON!
Nathalie : ON EST TELLEMENT ÉMU. BERNARD VIENT DE TERMINER SON TOUR DU MONDE. C'EST UN MOMENT MERVEILLEUX.
Bernard : Nous avons atteint le sommet à 14 H 15, heure du Chili, soit à 12 H 15 heure de Montréal Nous y sommes toujours et il y fait très froid. Il y a du vent. On a eu une éclaircie pour venir ici. Nous sommes partis ce matin, il était 7 H 45, heure d'ici. On a fait une progression très rapide. Il y avait une arête très dangereuse.
On a atteint le sommet. On regarde tout autour. C'est à voir, c'est l'Antarctique. Je ne sais pas comment vous dire combien je suis heureux, trop ému d'avoir complété ce tour du monde. J'en ai rêvé depuis longtemps et j'y ai mis beaucoup d'énergie et là ENFIN J'Y SUIS. J'ai une vue extraordinaire sur les montagnes de l'Antarctique. J'ai des souvenirs de mon expédition au pôle Sud. Il y faisait froid comme ça, le soleil y est présent. C'EST EXTRAORDINAIRE.
Maintenant, ici avec Nathalie, tous les deux, on partage un très grand moment, un moment de fierté, un moment de bonheur. Il y aura toujours des humains qui, de temps en temps, grimperont des montagnes et arriveront au sommet. Là, ils arriveront comme nous, les pieds gelés, les mains gelées, à bout de souffle. Mais quand ils pourront contempler l'horizon, ils toucheront le ciel, le beau ciel bleu, et surtout ils pourront ressentir ce que nous ressentons aujourd'hui, ÊTRE LIBRE !
ALLONS MAINTENANT, NATHALIE, VIENS-T-EN, RENTRONS À LA MAISON !
12.12.01
Nous sommes mercredi, le 12 décembre. Eh bien, nous sommes à Patriot Hills. On n'a pu faire de rapport hier, c'était impossible.
Lorsque nous sommes partis hier du camp III, nous avons d'abord descendu la partie du glacier très abrupte, dangereuse, avec le risque de glissade, de neige et d'avalanche avec une charge très lourde, nous avons rejoint le camp II. Nous avons repris toutes nos choses que nous avions laissées au camp II. Nous avons tout remballé dans nos petites luges et nous avons redescendu tout le glacier de Branscomb, tout le glacier, pour arriver jusqu'au camp de base et de là, il faisait très beau, une très belle journée, c'est probablement la plus belle journée depuis le début de l'expédition. Suite à certains contacts radio, un avion a pu venir nous chercher immédiatement. On a donc resté peu de temps au camp de base, quelques heures, le temps de tout préparer et le vol s'est tout de suite effectué dans un tout petit avion, un Cessna 185, un tout petit avion, qui nous a ramenés à Patriot Hills. Rendus ici, hier soir, nous avons profité de l'endroit, des activités, de manger assis sur une chaise et puis ce matin, nous sommes mercredi, 9 h 45, heure de Montréal, on nous annonce que l'Iyushin-76, cet avion russe, est en vol, il est parti du Chili ce matin de Punta Arenas pour venir en Antarctique et si la météo ne se dégrade pas, il devra atterrir ici dans quelques heures et ce soir nous devrions être à Punta Arenas. Ce soir de retour au Chili.
Voilà! Nous sommes heureux. Tout se termine rapidement, tout est vite, ça nous a demandé beaucoup de patience pour l'ascension, mais pour le retour tout semble aller très bien. Actuellement, il fait très beau à Patriot Hills. Il fait froid, juste une petite brise qui rase et qui permettra à l'avion russe de se poser sans problème. Ce sont nos dernières grandes respirations et nos derniers pas sur cette neige blanche de l'Antarctique, on prépare notre retour.
14.12.01
Nous rentrons en même temps que la première neige sur Montréal. Le visage buriné, les doigts sensibles au froid, un peu fatigués et si heureux de revenir à la maison.
L'Antarctique habitera nos pensées pour longtemps, pour toujours.